Relève des capteurs en plongée et mesures physicochimiques à l’aide de sondes.

Le rôle pluriel des zones humides n’est plus à démontrer, elles sont les reins de la planète, elles stockent l’eau et régulent les débits et les climats, elles ont des implications économiques et culturelles et sont une réserve immense de biodiversité. Malgré cela, 50% des zones humides de la planète ont aujourd’hui disparu et en France pas moins qu’ailleurs. Les milieux aquatiques sont fragilisés par les aménagements, la pollution, le réchauffement climatique et l’arrivée de nouvelles espèces ; dans ce contexte, chaque espèce lutte et doit s’adapter ou disparaître dans les véritables tubes à essais que sont devenus les lacs et les rivières. La meilleure compréhension du fonctionnement des milieux aquatiques et des espèces qui les habitent est donc de première importance.


Les investigations de Serge Dumont et de ses collègues ont permis la découverte et l’étude d’un petit crustacé invasif (Hemimysis anomala) originaire de la région Ponto-Caspienne ainsi qu’un bryozoaire (Lophopus crystallinus) rarissime dont les seules localisations actuelles connues en France sont des gravières proches de Strasbourg. 


Les dernières années ont été consacrées à l’étude de l’écosystème gravière en relation avec la nappe phréatique. 

De nouveaux travaux sont en cours sur les rivières phréatiques particulièrement exposées aux sécheresses et aux assecs.

Suivi de la gravière de Holtzheim 67

Hemimysis anomala :









Hemimysis anomala est un petit crustacé de 6 à 11 mm ressemblant à une petite crevette et originaire de la région pontocaspienne où il a été observé dans les régions côtières de la mer Noire, de la mer Caspienne et jusqu'à 50 Km en amont des fleuves se jetant dans ces mers. 


La région pontocaspienne est la source de nombreuses espèces invasives animales, se caractérisant par une très forte adaptabilité à cause de leur évolution qui s'est produite dans des conditions hydrologiques et salines extrêmement variables. Au cours des deux derniers siècles, la migration des espèces en Europe a été facilitée par la construction de nombreux canaux et par le transport fluvial rythmé par le remplissage et la vidange régulière des ballasts des bateaux. L'association écologique WWF (WorldWide Fund For Nature) estime que 4000 espèces différentes peuvent êtres transportés au cours d'un voyage dans les ballasts d'un seul bateau. Dans notre cas, c'est l'ouverture à la navigation du canal du Danube au Main en 1992 qui est un des facteurs importants de propagation d'espèces venant de la région pontocaspienne, en constituant ce qui a ete appele « le corridor sud » reliant la mer Noire à la mer du Nord en passant par le Danube, le canal du Danube au Main, le Main et le Rhin. 


Il apparaît probable que Hemimysis anomala soit parvenu en Alsace par cette voie, la première observation de ce crustacé dans le bassin du Rhin a été effectuée dans la rivière Neckar en 1997 et dans la rivière le Main en 1998. En 1998, il a d'ailleurs été répertorié comme espèce à haut potentiel invasif capable de survivre à des échanges incomplets de l'eau des ballasts des bateaux. D'autres corridors invasifs passant plus au nord ont également été décrits. La propagation d'espèces par ces corridors n'est finalement que la conséquence indirecte de la création de canaux et son corollaire le transport fluvial. Parallèlement à cette dissémination non contrôlée et non voulue. nous allons voir que Hemimysis anomala a également été propagé volontairement par l'homme C'est dans les années 50 et 60, qu'il fut introduit dans différents sites en Moldavie et en Lituanie comme complément alimentaire pour les poissons d'élevage. De là, suite à des vidanges de bassins, il gagna la mer Baltique où il fut observé pour la première fois dans le golf de Finlande en 1992 et dans le delta du Rhin en Hollande en 1999 où il a été trouvé dans l'estomac de jeunes perches. Enfin, il a été observé en Angleterre en 2004.

C'est en juin 2005 que la première observation de cette espèce a été réalisée en Alsace. Les spécimens prélevés ont été envoyés au Muséum d'histoire naturelle de Londres où ils ont été identifiés comme étant Hemimysis anomala par le Dr Bamber, spécialiste des Mysidacea, famille à laquelle appartient notre crustacé. C'est la première observation de cette espèce en France. À ce jour, le petit crustacé a été observé dans le Rhin à hauteur de Volgelsheim, dans le canal d'alimentation de l'Ill à Krafft, et dans deux gravières de centre Alsace. Si l'arrivée du petit crustacé dans le nord-est de la France par le Rhin était prévisible au vu de ce qui a été dit plus haut, ce qui surprend plus, c'est son apparition dans des gravières isolées situées à plusieurs kilomètres du Rhin. L'explication de ce phénomène est à rechercher dans la dynamique fluviale de notre région. En effet, les gravières en question sont proches de l'Ill et peuvent même communiquer avec elle en période de crue. On peut penser que cette rivière a servi de véhicule à nos crustacés depuis le Rhin. Il est peu crédible par contre que nos crustacés aient remonté l'Ill à contre courant et ce n'est pas non plus le transport fluvial absent sur cette rivière depuis fort longtemps qui a permis sa progression vers l'amont depuis le Rhin. Je pense plutôt que nos crustacés sont plutôt arrivés dans l'Ill par l'amont lorsque le débit d'étiage de cette rivière est soutenu en été par des apports d'eau du Rhin (via le Canal de Huningue et le Quatelbach), notamment au cours de la grande sécheresse de 2003. Il ne reste plus qu'à trouver notre petit crustacé dans l'IlI pour étayer cette hypothèse. Il est également possible que l'apport de plantes aquatiques, l'alevinage ou les oiseaux d'eau aient pu contribuer au transfert d'Hemimysis anomala dans ces gravières. Peu de choses sont connues sur l'écologie d'Hemimysis anomala, des études menées en Hollande ont montre qu’il avait un régime omnivore, mangeant de préférence zooplancton (plancton animal), il est également détritivore et cannibale (observations personnelles). 









Les juvéniles se nourrissent principalement de phytoplancton (plancton végétal) Peu de travaux scientifiques ont été menés pour étudier l'impact de la présence d'Hemimysis anomala sur les populations de phytoplanctons et de zooplanctons dont ils se nourrissent. Il existe certainement une compétition avec d'autres espèces planctonophages et/ou détritivores, espérons que le partage de nourriture ne se fasse pas au détriment des autres invertébrés de nos milieux aquatiques. Mes observations montrent que Hemimysis anomala évite la lumière directe pendant le jour appréciant le dessous des pontons. les cavités et les anfractuosités diverses. Une compétition pour ce type d'habitat très prisé par de nombreuses espèces a sûrement lieu. 

J'ai pu observer à plusieurs reprises la cohabitation d'écrevisses américaines (Orconectes limosus) et de colonies d'Hemimysis anomala dans différentes cavités, cohabitation d'autant plus intéressante qu'elle implique deux espèces invasives venant l'une de l'Ouest, l'autre de l'Est, arrivées grâce à l'homme et partageant le même logis dans une harmonie apparemment parfaite (voir photo). Si notre petit crustacé se cache le jour, il est moins timide la nuit quand il sort à la recherche de nourriture, de très nombreux individus sont alors disséminés sur le fond.

Hemimysis anomala fut introduit en Moldavie et en Lituanie comme comblement alimentaire, il est donc à prévoir que de nombreux poissons trouveront dans ce petit crustacé un mets de choix. J'ai observé récemment un Chabot et une larve de libellule sen nourrir cette prédation par la faune locale permettra, on peut l'espérer. la régulation de la prolifération de cette espèce capable de former des bancs importants.



Pour en savoir plus

Dumont S., 2006. A new invasive species in the North-East of France, Hemimysis

anomala 6.0. SARS, 1907 (MYSIDACEA). Crustaceana, 79 (10) : 1269-1274



Dumont S.. Muller C., 2010. Distribution, ecology and impact of a small invasive

shellfish, Hemimysis anomala in Alsatian water. Biol Invasions 12: 495-500.


Lien vers les vidéos mentionnées dans l’article publié dans Biological Invasions

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